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CHARGE MENTALE ET CONFINEMENT

La crise sanitaire met en lumière le rôle essentiel des femmes dans notre société, aussi bien dans le champ professionnel que domestique.

Cela fait désormais 34 jours que la France est confinée. Nous ne cesserons de le dire, cette mesure est loin d'être égalitaire. Invisibles dans les débats politiques, médiatiques, scientifiques, ce sont pourtant bien les femmes qui se retrouvent en première ligne face à l'épidémie. Majoritaires dans les emplois du « care » (secteur du soin, du nettoyage, de la grande distribution...), institutrices ou en charge des devoirs à la maison, surexposées aux violences intra-familiales et cyberviolences, les femmes encaissent[1]. Une « bande de femmes » comme l'a si bien dit C. Taubira, qui mène le combat chaque jour pour vaincre cette guerre sanitaire !

Mais il ne faut pas oublier celles qui travaillent dans l'ombre. Celles dont le travail n'est pas reconnu, celles dont on ne pèse encore que trop peu le poids de la charge qu'elles supportent quotidiennement.

A cette charge domestique, malheureusement habituelle pour la plupart, vient se rajouter celle de la peur, de l'angoisse de la période, et du stress de l'inconnu que sera « l'après ».

En effet, plus que jamais, les femmes, à l'heure de la crise sanitaire, supportent une charge mentale supplémentaire; l'occasion pour nous de revenir sur cette notion.

Le terme de « charge mentale» peut être rapporté aux travaux de Monique Haicault, sociologue française qui, en 1984 dans son article La Gestion ordinaire de la vie en deux[2], théorise la charge cognitive double que supportent les femmes qui travaillent et doivent en même temps s'occuper de la gestion du foyer, des tâches ménagères, des enfants.

Monique Haicault construit alors cette notion de charge mentale à travers une analyse des rapports sociaux de classe (qui structureraient la place des femmes dans le travail) et de sexe (leur place dans la famille).

Ce rôle assigné aux femmes leur fait supporter non seulement les contraintes du travail mais aussi celles domestiques. La charge cognitive qui en résulte va au-delà de la somme de ces contraintes car elle continue de jouer un rôle dans ces deux sphères et au-delà de celles-ci. « C'est dans la simultanéité que réside la spécificité de la charge mentale et non dans l'addition de types d'activités ou de services ».

Pour le dire plus clairement, les femmes doivent ainsi supporter cette charge mentale du travail domestique, aussi lorsqu'elles ne sont pas en train d'effectuer ces tâches à proprement parlé (prendre un rdv médical pour un enfant, gérer la baby-sitter, inscrire l'enfant à une activité sportive, commander son cadeau d'anniversaire, le tout entre 2 réunions, 2 rdv clients, 2 gardes ou 2 maisons à nettoyer). Elles doivent planifier, s'assurer de la logistique, de l'organisation etc... Bref, à tout moment elles doivent penser, garder en mémoire (corporelle) les choses à faire. Il y a donc une appréhension du corps même des femmes qui se retrouve à jouer un rôle de « médiateur » dans la gestion de ces différents « espaces et temps ». On comprend bien ici que le concept va au-delà de la double journée pour les femmes.

Il apparait alors que rogner du temps sur celui du travail salarié ou domestique ne changerait rien au fait que cette charge mentale incomberait tout de même aux femmes du fait des rapports de sexes, des rapports sociaux en jeu qui continuent de se perpétuer.

A travers une approche féministe matérialiste, nous pouvons appréhender autrement cette notion en y voyant d'avantage un système d'exploitation qui se joue autour du travail domestique. Christine Delphy parle d'exploitation des femmes au sein d'un « mode de production domestique » dans lequel ce travail est accaparé, extorqué par les hommes dans les couples hétérosexuels.

A travers cette analyse de l'oppression des femmes, nous comprenons alors d'avantage comment ces rapports sociaux inégaux, qui se jouent dans la sphère domestique, se propagent au-delà de celle-ci pour s'imbriquer, s'entrelacer avec d'autres.

De cette notion de travail domestique, il faut aussi noter qu'elle n'a pas eu la même signification pour toutes les femmes. L'accaparation de la force productive et reproductive des femmes ne s'est en effet pas faite de la même manière à l'égard des femmes racisées qui subissent des discriminations spécifiques.

S'il existe alors plusieurs approches de la notion de « charge mentale », celle-ci a fait récemment renaitre dans le débat publique 2 questions : Celle de la reconnaissance en tant que telle du travail domestique et celle de la répartition des tâches ménagères et parentales, fruit de présupposés persistants qu'il serait du domaine de l'inné le fait que les femmes soient plus enclines à les effectuer. Mais ces deux questions ne peuvent être posées indépendamment de celle plus générale de la place des femmes dans nos sociétés. Il ne s'agit pas simplement de détacher les femmes de leur rôle assigné au foyer en rappelant leur droit de travailler, il ne s'agit pas de simplement plaider en faveur d'un partage effectif des tâches, car le rapport de domination qui se tient va au delà de ces considérations, est plus profondément ancré.

Nous en avons aujourd'hui l'exemple concret, car si les hommes se retrouvent aussi confinés à la maison, il semblerait que le rapport de domination qui s'y exerce dans les couples hétérosexuels s'est aggravé.

En effet, à l'aune de l'état d'urgence sanitaire, cette charge n'a fait que se décupler pour les femmes assignées à la maison et désormais confinées.

Et il faut bien prendre la mesure de ce que cela veut dire, les femmes se retrouvent confinées là où les inégalités sont parfois les plus fortes, là où la domination masculine s'exerce à son paroxysme, là où les violences sexistes et sexuelles sont les plus tenaces.

Entre tâches ménagères, télétravail, école à la maison et crainte pour certaines du passage à l'acte violent par leur partenaire, la charge mentale qui pèse en ce moment sur les femmes doit inquiéter.

Les risques psychologiques sont importants : épuisement, « burn-out », migraines, dépression, troubles anxieux, les conséquences sont nombreuses.

Si le gouvernement a pris des mesures dès le départ en mettant en place l'arrêt de travail pour garde d'enfant(s), il faut noter que ce sont majoritairement les femmes qui en ont bénéficié, qu'elles soient famille monoparentale ou en couple et pas par choix de mettre leur travail de côté . Quelle en sera la résultante au moment du déconfinement ? Quelles conséquences sur leur emploi, sur leur carrière ? Et dans le même temps, nombre de femmes avec enfants n'ont absolument pas bénéficié de cette mesure, les employeurs exigeant d'elles du télétravail. Elles doivent donc jongler entre le travail, avec son lot de réunions virtuelles et de coups de téléphones, l'école à la maison, les repas, les courses et parfois un conjoint violent (qui coupe internet pour empêcher madame de télé travailler).

Pour les femmes des milieux les plus précaires, viennent se rajouter à tout cela les difficultés pour remplir le frigo, la queue pour aller chercher l'aide alimentaire quand cela est possible près de chez soi, les conditions d'hébergement parfois insalubres, l'exiguïté, le manque d'outils numériques pour l'école à la maison…

Ainsi, ce que nous constatons c'est qu'à l'aune du confinement, dans toutes les sphères, les inégalités aussi bien sociales que de genre se sont accrues. La crise sanitaire met en lumière le rôle essentiel des femmes dans notre société, aussi bien dans le champ professionnel que domestique. Mais cette surcharge de travail, cette charge mentale? ne doit pas les mettre en danger. C'est pourquoi, Marlene Schiappa, secrétaire d'Etat à l'égalité femmes / hommes, s'est inquiétée de cette situation. Espérons que cette prise de conscience ouvrira de véritables politiques publiques en faveur de l'égalité femmes / hommes au-delà de cette crise sanitaire, pour que le « monde d'après » soit celui de la libération des femmes, de la fin de leur exploitation !


[1]Voir nos autres articles notamment "le confinement : amplificateur des inégalités femmes/hommes"

[2]https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01503920/document

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