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​Droit à disposer de son corps & pandémie

La crise sanitaire met en exergue des dysfonctionnements dans la prise en charge des femmes désireuses d'avorter.

L'interruption volontaire de grossesse a été dépénalisée par la loi Veil du 17 janvier 1975.
Jusque-là, avorter pour une raison non médicale était un délit, une action passible d'emprisonnement. Désormais, en France, l'interruption volontaire de grossesse (IVG) est possible jusqu'à douze semaines de grossesse (c'est-à-dire quatorze semaines d'aménorrhée). Deux méthodes co-existent en fonction du stade dans lequel se trouve la personne concernée : l'IVG médicamenteuse et l'IVG chirurgicale. Dans tous les cas, deux consultations préalables sont obligatoires avant l'IVG pour faire la première demande, fournir toutes les explications et offrir un temps de réflexion. Un troisième rendez-vous, sous la forme d'un entretien psycho-social est optionnel mais obligatoire pour les mineures. Une consultation de contrôle a ensuite lieu deux à trois semaines après l'avortement.

Inscrit aux articles L. 2212-1 et suivant du Code de la santé publique, l'accès à l'IVG est considéré comme un droit, ainsi que l'a qualifié le Conseil constitutionnel dans le considérant 9 de sa décision n° 2017-747 DC du 16 mars 2017 relative à l'extension du délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse, pourtant considérablement mis à mal par l'ébranlement sanitaire engendré par le Covid-19.

Simone de Beauvoir alertait les femmes sur le fait qu'une crise politique, économique ou religieuse serait susceptible de remettre en question leurs droits. 2020 a prouvé qu'une pandémie aussi. Du 30 mars au 19 avril 2020, le numéro vert « Sexualités, contraception, IVG » a connu une augmentation exponentielle des appels rapportant des dysfonctionnements dans la prise en charge des femmes désireuses d'avorter.

Aux incommodités impliquées par le confinement quant à la restriction d'aller et de venir se sont ajoutés d'autres éléments obstruant l'accès à l'avortement : réticence à se déplacer dans les centres de santé par peur de contracter la Covid-19, manque de disponibilités dans les lieux où l'IVG est pratiqué en raison de la concentration des efforts pour endiguer l'épidémie, etc…

Une situation d'autant plus complexe pour les victimes de violences conjugales sous emprise confinées avec un compagnon opposé à l'IVG et les femmes mineur.e.s voulant interrompre leur grossesse sans en informer leur famille – un manque d'adultes référent.e.s est d'ailleurs à déplorer en l'espèce.

La pandémie n'a pas créé de nouvelles difficultés concernant l'accès à l'avortement. Le coronavirus a seulement mis en exergue les difficultés déjà présentes pour de nombreuses femmes ayant fait le choix d'avorter : manque de professionnel.les la pratiquant en raison de la persistance de la clause de conscience, arduité à obtenir un rendez-vous, disparités d'équipement adaptés sur le territoire national, ainsi que des délais de recours trop courts. Si l'amendement visant à aménager l'accès à l'IVG pendant la crise sanitaire, déposé par la sénatrice socialiste Laurence Rossignol en début de confinement, a été rapidement rejeté, le gouvernement a finalement accepté par la suite que certains RDV obligatoires soient suivis par téléconsultation et a rallongé le délai de l'IVG médicamenteuse de sept à neuf semaines d'aménorrhée maximum uniquement pendant la période de distanciation sociale… Une mansuétude bien parcimonieuse pour un soin d'urgence alors que de nombreux délais administratifs étaient rallongés sans longues tergiversations durant cette période. D'autant plus que plusieurs législations de pays européens optent déjà pour des délais de recours à l'avortement plus longs, à l'instar du Royaume-Uni (24 semaines), des Pays-Bas (22 semaines) et de la Suède (18 semaines).

Ces complications rencontrées entraînent une multiplication conséquente des demandes d'IVG hors délai. Le Planning Familial a ainsi enregistré une hausse de 150% des appels en la matière. Les IVG en dehors des clous imposés par le législateur se retrouvent bien souvent traitées à l'étranger… pour les femmes disposant des moyens pour enclencher cette procédure ailleurs – une solution rendue par ailleurs impossible avec la fermeture des frontières. Cette situation met ainsi en évidence certaines inégalités sociales, une inquiétude soulignée par Mme Ghada Hatem-Gantzer, gynécologue-obstétricienne et fondatrice de la Maison des femmes de Saint-Denis, « pour la santé des femmes mais aussi pour l'égalité de l'accès aux soins ».

Ainsi, en France, ce n'est donc plus la question du droit à l'avortement en lui-même sur laquelle nous devrions nous pencher, mais bien son manque d'accessibilité et donc sur son effectivité réelle!

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