Téléphone 01 71 06 35 50

​« Profondeur » de la pénétration et viol : Une décision de la Cour de cassation décriée

Une décision de la Cour de cassation relance le débat sur la notion de consentement.

En 2017, une jeune femme dénonce des viols commis par son ex beau-père qui l'obligeait à se déshabiller, lui caressant le vagin et les fesses, se frottant contre elle et lui léchant le sexe, au prétexte de prétendues punitions, ce alors qu'elle avait à peine 13 ans.

Le juge d'instruction requalifie l'affaire en agression sexuelle incestueuse sur mineur de moins de 15 ans commis par une personne ayant autorité sur la victime.

Le 14 octobre 2020, la Cour de Cassation rend un arrêt qui fait couler beaucoup d'encre.

Le 6 novembre 2020, « Osez le féminisme » signe ainsi un courrier interpellant le Président de la République et des membres du gouvernement face à une décision vue comme un coup de plus porté à la protection contre les violences sexuelles.

Cet arrêt s'inscrit en effet dans une pratique courante qui alarme les associations de défense des droits des femmes et de droits des enfants, consistant à requalifier des faits de viols en agression sexuelles, en particulier quand les victimes sont mineures.

Il est reproché à l'arrêt de rejeter la qualification de viol sur une victime de 13 ans au moment des faits au motif que la victime ne donne pas de précisions « en termes d'intensité, de profondeur, de durée ou encore de mouvements » s'agissant d'actes sexuels imposés.

C'est l'absence de précisions concernant la pénétration qui a poussé à rejeter cette qualification, mais la chambre criminelle de la haute juridiction ne profite pas de l'occasion pour reprendre ce qui était maladroitement décrit dans l'arrêt de la chambre d'instruction. Celle-ci estimait en effet que la pénétration devait être d'une profondeur « significative » pour être caractérisée, ajoutant de l'imprécision au flou.

La décision du 14 octobre est choquante, mais s'inscrit dans un raisonnement inévitable étant donné la définition qui est faite du viol dans le Code pénal, dont les textes sont heureusement d'interprétation stricte.

L'article 222-23 dudit code définit ainsi « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur par violence, contrainte, menace ou surprise » comme un viol.

Ce texte pose plusieurs entraves à la reconnaissance des crimes de viol et à leur sanction.
En premier lieu, il ne mentionne pas expressément l'absence de consentement. Cette omission est pourtant contraire à l'article 36 de la convention d'Istanbul à laquelle la France est partie, puisque celui-ci dispose que « les parties à la convention sont tenues d'adopter une législation pénale intégrant la notion d'absence de libre consentement aux différents actes sexuels répertoriés ».

Le code pénal décrit quatre moyens possibles de priver la victime de consentement : la violence, la contrainte, la menace, ou la surprise.

Cette liste limitative rend la preuve des violences complexe puisque la privation du consentement doit obligatoirement passer par l'un de ces leviers : une pénétration sans consentement se déroulant sans violence, contrainte, menace ou surprise n'est pas un viol au sens du droit Français.

Les victimes qui vont rencontrer le plus de difficultés à cause de cet obstacle à faire reconnaître les faits sont celles qui ont subi l'agression de la part d'une personne exerçant une forme de domination de nature à les priver de consentement sans employer l'un des moyens décrits par le Code pénal.

Ce sont les victimes de leur époux, de leur supérieur hiérarchique, ou, comme dans les faits ayant mené à la décision du 14 octobre 2020, les mineures victimes d'un membre de leur famille ou de leur entourage proche.

La construction de l'article 222-23 du CP fait peser sur toutes les victimes la charge de prouver, en plus de la pénétration (« d'une profondeur significative » ?), en plus du caractère sexuel de celle-ci, en plus de l'absence de consentement donné à l'auteur, que ce dernier a usé de violence, de menace, de contrainte ou de surprise.

Cette charge entre en contradiction avec les travaux sur la sidération qui frappe beaucoup de victimes au moment de l'agression, incapables d'exprimer leur volonté, et qui subissent pourtant un viol et ses conséquences.

C'est pour ces raisons que le Canada a intégré dans son code criminel les éléments suivants :

Le consentement peut se manifester par des paroles ou des gestes et doit être donné librement. L'absence de résistance n'équivaut pas à un consentement.

Une personne ne peut donner son consentement si elle est incapable de le formuler (incapacité physique ou intellectuelle, intoxication) ou si l'une des personnes est en position d'autorité, a recours à des menaces, à la force ou à une fraude pour l'obtenir.

Le consentement n'est pas valable s'il est donné par une personne âgée de moins de 16 ans ou en situation de dépendance.

Dans certains cas, il existe donc une présomption de non consentement, et une obligation d'obtenir ce consentement dans tous les cas, ce qui permet de lutter contre tout type de viol.

La seconde entrave posée par la définition du Code pénal Français est celle de la pénétration.

C'est cela qui a conduit à une décision aussi heurtante que logique par la Cour de cassation le 14 octobre 2020.

L'importance capitale de la pénétration dans la distinction entre une agression sexuelle (délit) et un viol (crime) découle de l'importance capitale de la pénétration dans la construction sociale des rapports sexuels.

Une large part de nos habitudes sociales tend encore à considérer un rapport sexuel sans pénétration « reproductive » comme un non-rapport sexuel, invisibilisant toute la sexualité qui ne rentre pas dans notre héritage de domination patriarcale et hétérosexuelle.

De la même manière que les manuels d'éducation sexuelle et les guides sexualité des magazines parlent de « préliminaires » à la pénétration, la jurisprudence qui a défini le crime de viol de sa création en 1810 jusqu'à ce que cette définition soit intégrée au Code pénal en 1980 découle de ces habitudes sociales.

Ce contexte, celui d'une société hétéro patriarcale, dans lequel le viol est défini et jugé, amène à ce qu'une juridiction rejette la qualification de viol car l'accusation portée par une victime qui avait 13 ans au moment des faits ne mentionne pas assez précisément la profondeur de l'agression qu'elle a subie.

Enfin, les faits à l'origine de cette décision rappellent nécessairement qu'aux termes du Code pénal, l'âge n'est pas un élément constitutif de l'infraction d'agression sexuelle. Il n'est qu'une circonstance aggravante.

Il existe une pénalisation des rapports sexuels entre majeur et mineur, mais l'existence du consentement à tout âge est rendue possible par la loi. En 2018, le législateur a cependant précisé que la contrainte constitutive de l'agression sexuelle peut résulter de la différence d'âge entre l'auteur et la victime.

De nombreux juristes luttent pour que la présomption irréfragable d'absence de consentement intègre les textes, c'est-à-dire que le Code pénal exclut totalement qu'un mineur d'un certain âge soit en capacité de donner son consentement à un rapport sexuel.

Cette présomption permettrait d'apporter clarté et protection des mineurs, plutôt que ce qui est décrié comme une modification par petites touches de la législation en matière de violences sexuelles, encore trop timide.

C'est à l'occasion d'une procédure polémique en 2017, dans laquelle un homme avait été poursuivi pour « atteinte sexuelle » après avoir eu une relation sexuelle avec une victime de 11 ans et non pour « viol », que le débat sur l'âge et le consentement était entré dans l'agenda du législateur.

L'équipe du CIDFF des Hauts de Seine Nord, qui informe, oriente, et accompagne notamment les victimes de violences sexuelles, observe auprès des victimes la difficulté à mettre les mots sur des actes encore mal appréhendés par le droit.

Espérons que la teneur de la décision du 14 octobre 2020, et la controverse suscitée, permettront là aussi au législateur de questionner de nouveau ces angles morts.

Nos partenaires